Le télétravail, ça vous angoisse ?

Le télétravail, ça vous angoisse ?

Le développement fulgurant du télétravail à l’occasion de la crise COVID a de toute évidence fait sortir les managers de leur zone de confort. Et c’est peu dire : comment communiquer avec les membres d’une équipe éclatée ? Comment gérer une charge de travail sans visibilité sur les avancées de ses collaborateurs ? Comment faire cohésion ? 

Finie la traditionnelle tape sur l’épaule qui remotive les troupes ! Avec le télétravail, les managers ont dû se résoudre à moins de contrôle sur le temps de travail et moins de proximité, tout en s’efforçant de respecter leurs impératifs de productivité. Tant bien que mal, il leur a fallu réinventer leurs méthodes, s’adapter à l’usage de nouveaux outils de communication (visioconférence, travail collaboratif en ligne, etc…), développer parfois une logique de « livrables » un peu à la manière des consultants freelance.

Les DRH, eux aussi, ont souffert d’une perte de repères. Difficile en effet de suivre le parcours en entreprise de collaborateurs devenus « invisibles ». 

Jusqu’à la crise sanitaire, le télétravail était un mode d’aménagement des conditions de travail plutôt individualisé, et généralement subi par l’entreprise en raison de contraintes pesant sur le salarié (enfant malade, difficulté de transport, inaptitude temporaire…), même si le travail en alternance à domicile, en mobilité, et sur site avait commencé à s’envisager en lien avec la digitalisation du travail, le développement de la mobilité́ et la multiplication d’entreprises multi-sites.

La crise sanitaire a permis de passer à l’étape supérieure, celle du télétravail généralisé, du moins pour les secteurs/métiers télétravaillables. Le volume de télétravailleurs a dès lors considérablement augmenté. Des études démontrant que la productivité d’un télétravailleur pouvait dépasser celle d’un salarié physiquement présent ont contribué à son ancrage dans l’écosystème. Une enquête réalisée par la Banque de France en 2020 constatait par exemple qu’augmenter l’effectif en télétravail de 1 point (par exemple, passer de 17 % à 18 % de l’effectif) augmentait parallèlement la productivité de l’entreprise de 0,6 %. 

En sortie de crise, certaines organisations semblent toutefois rechercher un point d’équilibre, en alternant des périodes de télétravail avec des périodes de travail in situ. L’organisation « hybride » pourrait être un modèle d’avenir. Les services financiers y voient l’occasion d’augmenter la profitabilité de l’entreprise, les DRH un outil d’attractivité pour les candidats au recrutement, et les candidats un gain en terme de qualité de vieDans cette perspective, encadrer le télétravail s’avère nécessaire. Est venu pour les DRH le temps de la négociation collective afin de construire avec les partenaires sociaux une organisation adaptée à l’entreprise. 

Négocier ce type d’accord d’entreprise, c’est avant tout aborder un certain nombre de sujets, dont plusieurs sont rendus obligatoires par le code du travail (article L. 1222-9)  tels que les conditions de passage en télétravail, les conditions de retour à une exécution du contrat sans télétravail, les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail, les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de télétravail, la détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail, les modalités d’accès des travailleurs handicapés ainsi que celles des salariées enceintes. 

Mais l’enjeu de la négociation n’est pas seulement de définir des modalités d’exercice du télétravail pour mieux le réguler. Il apparaît aussi essentiel de mener une réflexion sur les modalités d’accompagnement du changement pour préserver le capital humain, c’est-à-dire plus concrètement le mental du collaborateur. Organiser un soutien psychologique et social des télétravailleurs, établir un plan de développement des compétences ciblé sur le management à distance ou encore évaluer précisément les risques humains associés au travail à distance sont des mesures pertinentes à cet égard. Il ne faut pas perdre de vue que les télétravailleurs sont des hommes et de femmes susceptibles de plier sous le poids de conditions de travail peu propices à leur réussite professionnelle ou incompatibles avec leur vie personnelle. 

Il faut dire que la crise sanitaire a précipité le diagnostic des risques liés au télétravail: risque d’isolement professionnel, manque de reconnaissance et de soutien de la part des supérieurs hiérarchiques, démotivation en raison de l’éloignement du collectif de travail mais encore risque de burn-out. Il semble nécessaire que ces risques soient préalablement mesurés par l’entreprise dans le cadre de sa politique de santé au travail et il est certain que c’est un travail préparatoire à la négociation collective sur la mise en place du télétravail.

Et le télétravailleur justement dans tout ça ? Lui, rêvait jadis d’exercer son travail dans un cadre idyllique, de s’émanciper du lien de subordination…Il se rend aujourd’hui compte des difficultés concrètes qu’il doit surmonter en travaillant hors des murs de l’entreprise : être son propre manager, composer avec le sentiment d’être enfermé chez soi 35 heures par semaine, vivre sa vie privée et sa vie professionnelle sur un même espace. 

Le télétravail, total ou partiel, n’a pas fini d’angoisser les acteurs de l’entreprise (employés, managers, DRH) tant il est constitutif d’une rupture. Depuis toujours, il me semble que l’entreprise est une somme de collaborateurs qui communiquent sur un ou plusieurs espace(s) dédié(s), la qualité des relations humaines internes (entre collaborateurs) et externes (avec les partenaires et clients) étant un facteur clé de sa bonne marche. Le télétravail remet substantiellement en cause ce modèle traditionnel car la notion d’espace(s) dédié(s) au travail tend à disparaître au profit de celle d’espaces virtuels collaboratifs

Difficile aujourd’hui de mesurer l’impact à long terme de cette mutation qui, manifestement, atténue la communication informelle, tend à déshumaniser les relations de travail, et balaye d’un revers de main la question pourtant centrale de l’égalité de traitement professionnel face à la diversité des conditions de vie des télétravailleurs. 

Julien BROTHIER, DRH

 
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